La bourse
Comme un torse de pierre et de métal debout
Le monument de l'or dans les ténèbres bout.
Dès que morte est la nuit et que revit le jour,
L'immense et rouge carrefour
D'où s'exalte sa quotidienne bataille
Tressaille.
Des banques s'ouvrent tôt et leurs guichets,
Où l'or se pèse au trébuchet,
Voient affluer - voiles légères - par flottes,
Les traites et les banque-notes.
Une fureur monte et s'en dégage,
Gagne la rue et s'y propage,
Venant chauffer, de seuil en seuil,
Dans la ville, la peur, la folie ou l'orgueil.
Le monument de l'or attend que midi tinte
Pour réveiller l'ardeur dont sa vie est étreinte.
Tant de rêves, tels des feux roux
Entremêlent leur flamme et leurs remous
De haut en bas du palais fou !
Le gain coupable et monstrueux
S'y resserre comme des noeuds.
On croit y voir une âpre fièvre
Voler, de front en front, de lèvre en lèvre,
Et s'ameuter et éclater
Et crépiter sur les paliers
Et les marches des escaliers.
Une fureur réenflammée
Au mirage du moindre espoir
Monte soudain de l'entonnoir
De bruit et de fumée,
Où l'on se bat, à coups de vols, en bas.
Langues sèches, regards aigus, gestes inverses,
Et cervelles, qu'en tourbillons les millions traversent,
Échangent là leur peur et leur terreur.
La hâte y simule l'audace
Et les audaces se dépassent ;
Les uns confient à des carnets
Leurs angoisses et leurs secrets ;
Cyniquement, tel escompte l'éclair
Qui tue un peuple au bout du monde ;
Les chimères volent dans l'air ;
Les chances fuient ou surabondent ;
Marchés conclus, marchés rompus
Luttent et s'entrebutent en disputes ;
L'air brûle - et les chiffres paradoxaux,
En paquets pleins, en lourds trousseaux,
Sont rejetés et cahotés et ballottés
[...] Read more
poem by Emile Verhaeren
Added by Poetry Lover
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