Satyre XV
Ouy, j'escry rarement, et me plais de le faire ;
Non pas que la paresse en moy soit ordinaire,
Mais si tost que je prens la plume à ce dessein,
Je croy prendre en galere une rame en la main ;
Je sens, au second vers que la Muse me dicte,
Que contre sa fureur ma raison se despite.
Or si par fois j'escry suivant mon ascendant,
Je vous jure, encor est-ce à mon corps deffendant.
L'astre qui de naissance à la Muse me lie
Me fait rompre la teste après ceste folie,
Que je recongnois bien ; mais pourtant, malgré moy,
Il faut que mon humeur fasse joug à sa loy ;
Que je demande en moy ce que je me desnie,
De mon âme et du Ciel estrange tyrannie !
Et qui pis est, ce mal, qui m'afflige au mourir,
S'obstine aux recipez et ne se veut guarir ;
Plus on drogue ce mal et tant plus il s'empire ;
Il n'est point d'elebore assez en Anticire ;
Revesche, à mes raisons, il se rend plus mutin,
Et ma philosophie y perd tout son latin.
Or pour estre incurable, il n'est pas necessaire,
Patient en mon mal, que je m'y doive plaire ;
Au contraire, il m'en fasche et m'en desplais si fort,
Que durant mon accez je voudrois estre mort :
Car lors qu'on me regarde et qu'on me juge un poëte,
Et qui par consequent a la teste mal-faite,
Confus en mon esprit, je suis plus désolé,
Que si j'estois maraut, ou ladre ou verollé.
Encor si le transport dont mon ame est saisie
Avoit quelque respect durant ma frenaisie ;
Qu'il se reglast selon les lieux moins importans,
Ou qu'il fist choix des jours, des hommes ou du temps,
Et que lors que l'hyver me renferme en la chambre,
Aux jours les plus glacez de l'engourdy novembre,
Apollon m'obsedast, j'aurois en mon malheur
Quelque contentement à flater ma douleur.
Mais aux jours les plus beaux de la saison nouvelle,
Que Zephire en ses rets surprend Flore la belle,
Que dans l'air les oyseaux, les poissons en la mer,
Se pleignent doucement du mal qui vient d'aymer ;
Ou bien lors que Cerès de fourment se couronne,
Ou que Bacchus souspire, amoureux de Pomone ;
Ou lors que le saffran, la derniere des fleurs,
Dore le scorpion de ses belles couleurs,
C'est alors que la verve insolemment m'outrage,
Que la raison forcée obeyt à la rage,
Et que, sans nul respect des hommes ou du lieu,
[...] Read more
poem by Mathurin Regnier
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