La plaine (I)
Je veux mener tes yeux en lent pèlerinage
Vers ces loins de souffrance, hélas ! où depuis quand,
Depuis quels jours d'antan, mon coeur fait hivernage !
C'est mon pays d'immensément,
Où ne croît rien que du néant,
Battu de pluie et de grand vent.
C'est mon pays de long linceul.
Mes rivières y font de lents serpents
D'eau jaune à travers de grands pans
De terrains planes et rampants.
C'est mon pays sans un seul pli, un seul,
C'est mon pays de grand linceul.
Quelques rares hérons, au bord de marais faux,
Quelques pauvres hérons, dans leur bec en ciseaux,
Tordent, au soir tombant, des vers et des crapauds.
Et quelques vols parfois de corneilles lointaines
Avec de grands haillons d'ailes, grincent des haines
Aux quatre coins des longues plaines.
C'est mon pays d'immensément,
Où mon vieux cœur morne et dément,
Battu de pluie et de grand vent,
Comme un limon, moisit dormant.
Mes villages au clair - depuis quel temps ? -
Et mes cloches vers les vaisseaux partants
Et mes vergues et mes mâts exaltants
Ils sont au fond - depuis quel temps ? -
D'estuaires de plomb et de bas-fonds d'étangs ?
Mes villages d'enfance et de fierté,
Mes villages de joie et de tours de fierté,
Ils ont sombré - depuis quels soirs ? -
D'équinoxes de cuivre en des cieux noirs ?
C'est non pays d'immensément
Où ne croît rien que du néant
Battu de pluie et de grand vent.
La toujours uniformité des jours
Rabaisse en moi le moindre effort
Levé, soit vers la vie ou vers la mort.
Ne plus même crier - mais croupir là toujours
Comme un cadavre en or de proue
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poem by Emile Verhaeren
Added by Poetry Lover
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